lundi 20 août 2007

La perte de sens, la technique pour elle-même

La perte de sens, la technique pour elle-même.

La technique n’a pas pour vocation d’interpréter le monde, elle est là pour le transformer, sa vocation est pratique et non théorique. Toute pratique est la mise en œuvre d’une intentionnalité qui soumet le champ de l'action à des fins, toute pratique est soumise à une certaine utilité, mais le problème est la question de cette fin et la valeur de cette utilité. C’est toujours la question « Que dois-je faire ? » au sens kantien qui devrait être première. Mais ce n’est plus souvent le cas aujourd’hui.
Quand le pouvoir s’accroît démesurément, il demande un contrôle de plus en plus important. Renoncer à contrôler une puissance, c’est comme confier des explosifs aux caprices arbitraires d’un enfant. Le pouvoir peut fort bien se retourner contre nous et devenir destructeur autant qu’il peut-être créateur d’un confort. Mais en réalité, l’esprit scientifique a constamment affaire à l’esprit technicien. L’esprit technicien vise à l’exploitation des résultats de la science. Il se demande ce que l’on peut tirer de telle ou telle connaissance comme application pratique et il déploie toute son ingéniosité pour convertir un savoir en pouvoir. Il n’a pas nécessairement de visée de la finalité humaine au delà de son champ d’activité. Il est par nature spécialisé dans un domaine donné, où il déploie sa compétence, il n’est pas formé pour une vue générale ou universelle. Quand nous allons chercher un technicien, c’est pour résoudre un problème technique qui ressort de sa compétence, ce n’est pas pour l’interroger sur des visées globales de l’action.

À ce point plusieurs dangers naissent de cette puissance de la technique. Un danger certain est la subordination de celle-ci au capitalisme et au profit comme seule fin visée. On exploite la technique pour produire des biens et vendre des articles que nous n’avons pas de besoin. On élabore des machines qui produisent des biens superflus. Dans un monde tel que le nôtre, ce qui prime, ce sont souvent les considérations économiques, c’est l’esprit de l’économie qui oriente les décisions, y compris les décisions politiques. L’économie raisonne en terme de production de richesses, de production de bien, d’accroissement du PNB. Elle exige de la technique une inventivité constante, une augmentation de productivité constante, un développement de nouveaux marchés consacrés à de nouveaux objets techniques.

Comme le dit Michel Henry, la technique semble proliférer d'elle-même, comme se développent les cellules du cancer, bien au-delà de l'utilité à laquelle elle devait jadis répondre.

Avec la domination de l’homme sur la nature, nous voyons le monde à travers la télévision, nous voyageons sur des routes asphaltés dans des voitures, nous massacrons les autres espèces que nous ne côtoyons pas, nous vivons des sensations fortes en restant assit chez-nous, nous jugeons des gens à travers Internet et la télévision sans les rencontrer, nous nous émerveillons pour des gadgets, nous discutons pendants des heures d’objets matériels, nous désirons des objets n’ayant aucune utilité pour notre survie, etc.

L’un des plus grands dangers, demeure sans doute la venue au monde de l’homo-faber. L’homme travaille pour la technique, dans des usines, avec des machines. Il ne connaît rien des étapes de la production. Il demeure à son poste au sein d’une collectivité de travailleurs qui ne connaissent pas l’ensemble du processus. Lorsque la « job » est finie, on parle de problème technique, du moteur qui a sauté, de la nécessité de nous acheter tel ou tel truc, des problèmes de coûts et de production. Les hommes interposent entre eux la technique et ses objets et perçoivent le monde comme tel. Il parle au téléphone. Se voient comme des objets qu’ils peuvent modifier. Peut-être ont-ils dominés la nature, mais peut-être sont-ils à leur tour dominés. Par la mise en place du capitalisme, l’homme devient lui aussi un objet produit. On l’évalue en terme de rentabilité, de rendement, on le remplace facilement, etc. On le comprend comme une marchandise, un objet. Les nazis étaient dans cette logique. Il faisait de l’homme une chose; le juif devenait un produit naturel faible qu’on éliminait dans une industrie de la mort, à l’intérieur d’une véritable chaîne de production ou un homme conduit le train, l’autre transporte le gaz mortel; un vérifie les conduits pour le gaz, l’autre ramasse les cadavres dans la chambre ; un rempli les dossiers des déportés, l’autre pèse sur le bouton, etc, et la chaîne est immense.

« N’importe quelle hypothèse, si elle est logiquement poursuivie dans le cours d’une application cohérente, produit des faits objectifs. La rationalité téléologique, changeant immédiatement tout but atteint en moyen d’une fin nouvelle, à absorbé la rationalité, la détermination elle-même des fins : le catégorique a sombré dans les stratégies de l’hypothétique ». Hannah Arendt.

Cette lecture d’Arendt suggère que l’empire de la technique est parvenu à se viser elle-même comme fin. Produisons pour produire, si cela est techniquement possible, continuons. Il n’est donc plus question de contemplation, d’amour du savoir, de recherche de la vérité scientifique ou autre, la théorie est récusée pour laisser place au faire. Mais ce qui est surtout dangereux, c’est l’absence de détermination des fins; l’absence de l’éthique, car un le danger de cette production est le travail de domination sur l’homme lui-même.

Cela a rendu possible la naissance du totalitarisme qui a hanté le 20 siècle :

« Le totalitarisme comme résultat de l’application par l’homme du point d’Archimède à l’homme lui-même (il est maintenant la mesure du monde) et a ce qu’il fait sur terre, a pour conséquence qu’observé d’un point de l’univers suffisamment éloigné, toutes ses activités n’apparaissent pas comme des activités de telle ou telle sortes, mais comme des processus, ou encore comme des comportements objectifs (instrumentalisation de l’homme lui-même), que nous pourrions étudier avec les mêmes méthodes que celles utilisées pour l’étude du comportement des rats. De l’art de faire la nature, qui fait l’orgueil de la science naturelle moderne, on passerait ainsi, par une dérivation peut être fatale, à l’art de faire la nature humaine. Autrement dit : « L’hypothèse totalitaire est celle de l’absence de stabilité de la nature humaine, celle de la possibilité de changer la nature humaine ». Serge Cantin, Le philosophe et le dénie du politique.

Cela crée un paradoxe entre l’homme comme sujet (libre) et l’homme comme objet (naturel).

Et regardez bien ce qu’Hitler écrit dans son livre mon combat :
“L’homme ne doit jamais tomber dans l’erreur de croire qu’il est le maître et seigneur de la nature. Il sentira dès lors que dans un monde où les planètes et les soleils suivent des trajectoires circulaires, ou des lunes tournent autour des planètes, où la force règne partout et seule en maîtresse de la faiblesse qu’elle contraint à la servir docilement ou qu’elle brise, l’homme ne peut pas relever de lois spéciales (ici, le libre arbitre) ».

Autrement dit, l’homme doit se situer lui aussi dans l’univers tel que décrit par la science. Or comme nous l’avons vu, celle-ci est une entreprise de domination. Il doit être soumis aux forces de la nature. Il ne saurait y avoir de séparation entre liberté et nature, puisque l’homme se découvre lui-même comme un processus naturel. « L’homme est un objet de notre pouvoir. Pourquoi devrions-nous maintenir la liberté et la dualité de l’homme et de la nature? Nous y découvrons que des forces, des processus sans valeur. Appliquons donc à l’homme cela, transformons-le à notre gré. Et puisqu’il n’y a pas de valeur, de quoi devrait on être responsable. Voyez-vous une dignité dans la nature : Non »!

Résultat : 100 millions de morts, mobilisation technologique militaire globale, la bombe atomique. etc. Mais le progrès de la science c’est aussi l’élévation du nombre de la population, l’exploitation des ressources, les communications, les manipulations génétiques (aidées grandement par les expériences des médecins nazis sur les Juifs).

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