lundi 10 septembre 2007

Hans Jonas

Hans Jonas : le principe responsabilité.


L’homme d’aujourd’hui a donc énormément de connaissances et ses agissements sont d’une large ampleur. Pour Hans Jonas, la responsabilité de l’homme devra s’enraciner dans sa capacité d’agir. Il aura l’obligation morale de connaître et prévoir les conséquences de ses actions. Jonas veut surtout faire l’éducation morale des gouvernants car ce sont eux qui prennent des décisions importantes quant aux pouvoirs (pensons à Hitler). Il faut réfléchir sur notre pouvoir technologique et sur la nécessité de le limiter. Le pouvoir technique représente une menace autant pour l’environnement que pour la survie des générations futures. Entendons par générations futures celles qui ne sont pas encore au monde.

Pourquoi se soucier de la nature et des générations futures ? Pour la simple raison que l’action humaine a désormais une portée qui la dépasse. Notre pouvoir affecte la condition de la vie humaine et l’avenir lointain et l’existence de l’espèce elle-même. Mais plus que cela, c’est l’existence globale qui est menacée, et, puisque l’entièreté de la nature est touchée, l’éthique ne peut plus seulement se limiter à l’être humain.

Hans Jonas La menace de la technique
" Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l'économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l'homme de devenir une malédiction pour lui. La thèse liminaire de ce livre est que la promesse de la technique moderne s'est inversée en menace, ou bien que celle-ci s'est indissolublement liée à celle-là. Elle va au-delà du constat d'une menace physique. La soumission de la nature destinée au bonheur humain a entraîné par la démesure de son succès, qui s'étend maintenant également à la nature de l'homme lui-même, le plus grand défi pour l'être humain que son faire ait jamais entraîné. Tout en lui est inédit, sans comparaison possible avec ce qui précède, tant du point de vue de la modalité que du point de vue de l'ordre de grandeur : ce que l'homme peut faire aujourd'hui et ce que par la suite il sera contraint de continuer à faire, dans l'exercice irrésistible de ce pouvoir, n'a pas son équivalent dans l'expérience passée. Toute sagesse héritée, relative au comportement juste, était taillée en vue de cette expérience. Nulle éthique traditionnelle ne nous instruit donc sur les normes du "bien" et du "mal" auxquelles doivent être soumises les modalités entièrement nouvelles du pouvoir et de ses créations possibles. La terre nouvelle de la pratique collective, dans laquelle nous sommes entrés avec la technologie de pointe, est encore une terre vierge de la théorie éthique. Dans ce vide (qui est en même temps le vide de l'actuel relativisme des valeurs) s'établit la recherche présentée ici. Qu'est-ce qui peut servir de boussole ? L'anticipation de la menace elle-même ! C'est seulement dans les premières lueurs de son orage qui nous vient du futur, dans l'aurore de son ampleur planétaire et dans la profondeur de ses enjeux humains, que peuvent être découverts les principes éthiques, desquels se laissent déduire les nouvelles obligations correspondant au pouvoir nouveau".
Le Principe responsabilité, Éd. du Cerf, 1990, Préface, pp. 13 sq.

Dans le monde traditionnel l’action de l’homme restait modeste et en équilibre avec la Nature Il en est tout à fait autrement dans notre monde gouverné par un idéal démocratique. Il en est tout à fait autrement dans le monde de la techno-science qui est le nôtre.

Elle doit s’enraciner dans une ontologie. Dans une science de l’être : ce qui fait que tout ce qui est est. Nous pouvons rayer toute vie de la surface de la planète et faire le choix du néant contre le primat de l’ÊTRE. Il faut donc poser la question de l’Éthique en des termes ontologiques et non plus seulement en termes anthropologiques. Quel rapport y a-t-il entre l’être, que nous reconnaissons ici dans la Nature, et le devoir-être qui mesure l’agir humain ? Il existe un agir finalisé dans la Nature. « L’efficience des fins n’est pas liée à la rationalité, à la réflexion et au libre-arbitre, donc à l’homme ». Dans un contexte tel que celui de la représentation finaliste de la Nature, pareille assertion ne poserait aucun problème. Elle va de soi. Mais il en est tout autrement, dans une représentation mécaniste de la Nature telle que la nôtre. La modernité s’est construite sur un rejet de la finalité. Descartes en donne le ton en disant « qu’il faut proscrire l’étude des causes finales de la physique ». Les modernes se sont ingéniés à mettre dans le même sac finalisme et anthropomorphisme, pour les renvoyer à un archaïsme désuet, incompatible avec la science nouvelle

La question de fond est celle-ci : « la causalité finale se limite-t-elle aux êtres doués de subjectivité ? » Une telle question se fonde aujourd’hui sur un interdit, l’anthropomorphisme, qui est sensé nous prévenir : nous n’avons pas le droit de supposer dans la nature une conscience analogue à celle que nous trouvons en nous-même. Or c’est justement ce que Jonas conteste. « L’être, ou la nature, est un et il rend témoignage de lui-même dans ce qu’il laisse procéder de lui ». Je vous ai dit que le monde moderne se voulait une aliénation de l’homme par rapport au monde. La nature (monde) d’un côté et l’homme de l’autre (la raison instrumentale). Hors, il faut voir ici que pour Jonas, le monde n’est pas un « en face de (moi) », mais que je suis au monde. Le monde n’est pas entièrement notre fabrication. Bien plutôt, nous émergeons en son sein. Nous faisons parti de la nature et du monde, de l’Être.

Et le devoir être (l’éthique et la morale) n’est pas quelque chose d’extérieure au monde. (Comme chez Kant). Il n’est « tout simplement pas vrai qu’une compréhension aristotélicienne de l’être soit en contradiction avec l’explication moderne de la nature ou qu’elle est incompatible avec elle, à plus forte raison qu’elle ait été réfutée par elle ». Ce que la science moderne oublie, c’est que par essence, le finalisme enveloppe le mécanisme. Il est parfaitement possible d’être finaliste, à la manière d’Aristote, et en même temps de se réjouir des découvertes les plus récentes de la physique et de la biologie, car le système d’explication des sciences de la nature est avant tout un présupposé méthodique.

« La nature cultive des valeurs et puisqu’elle cultive des fins, elle est tout, sauf libre de valeur ». Ce que Jonas veut renverser, c’est le préjugé selon lequel la nature serait vide de valeur et que seul l’homme aurait le droit d’en fixer. Il n’existe pas de fossé entre la Nature et l’homme. Il faut donc « enjamber le prétendu gouffre entre l’être et le devoir être ». L’ÊTRE, par sa seule perpétuation dans la donation à soi de la Vie est déjà une affirmation et une affirmation du Soi de la vie. Il serait temps enfin que nous puissions dire un oui à l’ÊTRE, que nous prononcions un oui à la vie intégral. Un oui sans demi-mesure. Car de prononcer ce oui nous ouvre les portes de notre responsabilité à l’égard de ce qui est. La valeur principale de l’être, de la nature est sa volonté de vivre, d’exister. L’organisme vivant dit oui à la vie. En ce sens, c’est l’auto-affirmation des êtres vivants qui fonde la valeur. C’est la vie qui se veut elle-même.

La Vie se veut elle-même et la promotion de sa propre expansion est sa tendance « l’homme n’a aucun avantage sur d’autres vivants – si ce n’est que lui seul peut également avoir une responsabilité aussi, autrement dit celle de garder leur fin propre ».

Jonas dit : le oui qui agit aveuglément dans la nature gagne une force obligatoire dans la liberté lucide de l’homme.

« Il y a une solidarité de destin entre l’homme et la nature, une solidarité nouvellement découverte à travers le danger que représente la technique, danger qui nous fait prendre conscience de son intégrité. Nous devons respecter cette intégrité, c’est notre responsabilité ». Le principe responsabilité


La portée lointaine de l’action certes échappe à la prévision exacte. Cependant nous savons que la visée même d’un bien se situe nécessairement dans une perspective globale qui dépasse les limites du sujet agissant. Le sujet peut ne viser que son profit individuel, immédiat et à court terme, et en cela il se comporte comme le fait d’ordinaire l’ego n’ayant souci que de lui-même. Mais justement cet ego doit s’agrandir et ne plus mesurer le bien à son seul profit immédiat. Il doit embrasser un intérêt plus grand que le sien propre. Tel est le sens vrai de la morale. « Le paradoxe de la morale est que le soi doit être oublié au profit de la cause, afin de laisser advenir un soi d’ordre supérieur ». En ce sens, le bien est « la cause dans le monde et même la cause du monde ». Il mérite d’être recherché pour lui-même et non pour un quelconque profit individuel. Y compris celui de vouloir devenir « meilleur ». « L’homme bon n’est pas celui qui s’est rendu bon, mais celui qui fait le bien pour lui-même ». Écouter cet appel, pour autant qu’il parvient à résonner dans le cœur, cela n’est rien d’autre que « le sentiment de responsabilité ».naturelle « La conception scientifique dominante de la nature… nous refuse décidément tout droit théorique de penser encore à la nature comme à quelque chose qui mérite le respect puisqu’elle réduit celle-ci à l’indifférence de la nécessité et du hasard et qu’elle l’a dépouillée de toute la dignité des fins ».


Puisque l’être dans son entièreté est en jeux.

Que doit-on faire :

1) Prévoir et connaître les conséquences à long terme.
2) Il faut donc faire appel aux experts qui ont plus de responsabilités (non – réciprocité des obligations)
3) Il ne faudra pas forcément des certitudes, mais s’en tenir aux pronostics.


La méthode : L’heuristique de la peur

« Il faut reculer d’horreur devant ce que l’homme pourrait devenir et dont la responsabilité nous regarde fixement à partir de l’avenir que prévoit la pensée”.

Il faut prêter davantage l’oreille à la prophétie de malheur.

Jonas nous dit qu’il faut se faire une image de l’avenir et se laisser affecter par elle.
Il faut donner la priorité aux pronostics négatifs. C’est la crainte qui doit être première.
Qu’est-ce qui fait que l’on doit suivre cela. Selon Jonas, c’est la peur du néant, du rien, parce que la vie est préférable au néant.


Comme la planète est en péril de même que les générations futures, le devoir de l’homme est de faire en sorte que l’humanité survive. Jonas formule cette obligation sous la forme d’un impératif catégorique.

« Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre ».

On le voit l’impératif demande d’agir afin qu’une vie authentiquement humaine soit toujours possible. Et une vie authentiquement humaine en est une ou les hommes sont responsables, ou les hommes sont au monde, c’est-à-dire qu’il ne se considère pas le monde comme un objet soumis à leur pouvoir (ce qui est le propre de la technique), et ou les hommes sont mortels. Donc, pour qu’il y ait des hommes demain, il faut qu’il y ait des hommes au monde mortels et responsables aujourd’hui. Sinon, il n’y aura plus de responsabilité ni de monde. Et la mort doit toujours exister parce que c’est elle qui permet l’avenir et la responsabilité (l’ouverture et la projection vers le futur et l’autre).

On comprend mieux pourquoi c’est la peur qui oblige à poursuivre la vie humaine. Parce qu’elle peut ne pas être. La différence n’est plus alors celle de l’homme et de la nature, mais celle de l’organique (vivant) et de l’inorganique. La mort est une sélection naturelle qui permet l’organique et donc le sentir, le vouloir, mais qui aussi permet la diversité, l’avenir indéterminé (parce qu’elle est notre horizon indépassable), elle fonde le possible et en ce sens, la possibilité du projet, et chez Jonas, la possibilité de l’éthique (le vouloir vivre) et de la responsabilité.


Ce qu’il faut voir, c’est que pour Jonas nous sommes responsables de la chose en premier lieu. C’est l’objet qui m’appelle, qui m’affecte par sa vulnérabilité.
La capacité d’être ouvert, d’être réceptif à l’autre, c’est le sentiment de responsabilité.
C’est par le sentiment que se fait la revendication d’exister de l’objet de par notre propre agir. Nous nous soumettons à cette autre qui commande.

L’objet de la responsabilité est donc ce qui est vulnérable de par notre pouvoir.



Exemples de responsabilités :

1) Parentale : Le bébé est ce qui m’interpelle à sa responsabilité de par sa vulnérabilité. Pour Jonas, c’est le modèle de toute responsabilité.
2) Politique : l’objet de responsabilité = bien-être de la communauté (vulnérable)
3) L’humanité : l’objet de la responsabilité = nature et hommes de demain (vulnérable)
4) La responsabilité professionnelle : l’objet de responsabilité = confiance entre citoyens

Exigence du principe responsabilité :

1) Renoncer à l’utopie d’un progrès sans fin
2) Le niveau de vie doit baisser
3) Renoncer à plusieurs biens présents
4) Organiser l’économie selon le critère du besoin plutôt que celui d u profit.
5) Sacrifice commun
6) Écourter les experts et se plier à leurs solutions
7) Obligé par l’impératif de sauver le présent pour qu’il y est futur.

Problèmes de la théorie de Jonas :

1) Plusieurs biens interpellant notre responsabilité peuvent être en concurrence les uns avec les autres : homme et nature (exploitation des ressources).
2) Sacrifice technologique; limiter le progrès technologique dont peut dépendre le bien-être de certains peuples (le nucléaire)
3) Pas de critères dictés pour établir l’ordre des priorités.
4) Sacrifice de la jouissance présente pour le futur.


Différences entre les théories :

Utilitariste : certitude, bonheur du plus grand nombre, avenir à court terme, mes conséquences, progrès

Kant : sujet autonome et responsable, ne tient pas compte de la nature et des autres générations directement, ni d’autrui directement, présent.

Jonas : incertitude, avenir à long terme, génération future, nature, animaux, pas progrès.





Il est indispensable de penser la Nature d’une manière différente de celle qui a prévalu dans le cadre du paradigme mécaniste. Non seulement pour y trouver la trace d’une finalité et d’une subjectivité qui la resitue dans une proximité intime avec l’humain, mais aussi pour prendre conscience que désormais l’éthique enveloppe la considération de la promotion de la vie dans la Nature.

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