dimanche 21 janvier 2007

La fin de la Philosophie et la Décadence universitaire

La fin de la philosophie ?
Je fais ici une critique de la philosophie en milieu académique en analysant un passage de la naissance de la tragédie. Ceux qui veulent lire la critique allez tout de suite à la section " commentaires ". Cette critique ne touche pas juste la philosophie.

Selon Nietzsche, la musique comme langage de la volonté incite notre imagination à lui donner forme et à l’incarner dans un exemple analogue. Si cela se produit, l’image et le concept accèdent à une signification plus élevée. C’est l’art dionysiaque qui exerce une double action sur Apollon. Il provoque la vision analogique et générique du dionysiaque et fait ressortir une image analogique à cette vision. C’est la musique qui enfante le mythe et permet la connaissance tragique, un savoir de son essence, en cherchant la plus haute expression imagée qui soit. Cet esprit de la musique permet une compréhension tragique du monde et provoque une joie à l’anéantissement de l’individuation. Il y a expression de la toute puissance de la volonté se situant par-delà ou derrière le principium individuationnis. C’est l’éternité de la vie qui est ainsi vue et comprise comme volonté éternelle. C’est un regard dans les terreurs de l’existence individuelle ou le déclin et la souffrance s’annoncent comme nécessaires; mais cette vision, loin de resté figée d’horreur par la prophétie de sa fin future, prend plaisir à la contemplation de la joute des formes pour le droit à l’existence et à leur mère à tous : l’éternelle volonté. Nietzsche voit en cela une consolation métaphysique car nous sommes alors pour un moment l’être originel lui-même désirant et voulant en abondance, source de joie, de force, de puissance et matrice de tout être luttant pour vivre. La musique enfante le mythe en luttant en le poète lyrique pour se révéler en images. Images tragiques luttant pour leur prédominance et vouées par la force au déclin.


Nietzsche cherche par suite à savoir si la force qui a brisée la tragédie peut maintenir sa domination à tout jamais. Cette force, c’est l’impulsion dialectique au savoir et à l’optimisme scientifique. La tragédie ne renaîtra que par sa vision en et pour l’esprit scientifique lorsque ce dernier aura atteint ses limites et où s’annoncera en lui la fin de sa prétention à une validation universelle. La mort de la tragédie s’est produite essentiellement au cœur du dithyrambe attique où la musique n’exprimait plus l’intimité de l’être, la volonté elle-même. Le phénomène est alors fondé par la médiation du concept, c’est-à-dire qu’il est imité. L’homme est alors contraint à rechercher des analogies extérieures entre tel incident de la vie et certaines figures rythmiques ou certaines sonorités caractéristiques. La raison se satisfait alors d’analogies, et les reproductions qu’elle engendre sont plus pauvres que les phénomènes eux-mêmes. Il y a « figitude » de formes et fixation de l’imagination sur celles-ci. Il n’y a plus d’ouverture sur l’infinité du vouloir universel et sur sa généralité. L’image et la musique sont cristallisées, taillées sur le fond du monde, détachées de leur origine tragique et hypostasiées pour ainsi dire comme chose en soi, comme horizon de la vérité. L’esprit non dionysiaque équivaut à un raffinement psychologique qui se veut une peinture des caractères comme formes figées; une précision des contours de l’individuation. Cette dissection anatomique du monde le découpe en ces « propres caractéristiques ». Mais cette attitude est en fait une résolution toute terrestre à la dissonance tragique. Entre l’homme et le phénomène un deus ex machina solidifie la véracité des formes par la connaissance. C’est la victoire de l’esprit scientifique qui comme schème bien encré au sein de la vie corrige le monde, résout les problèmes et veut tout connaître en vérité. L’homme est désormais la mesure de toutes choses.


Cette victoire de l’esprit scientifique est aussi le fruit de la volonté qui toujours en répandant une illusion sur les choses forces ses créatures à s’accrocher à l’existence. Toute civilisation nous dit Nietzsche est constituée de telles illusions agissant comme stimulant pour tromper le dégoût du poids de l’existence. L’esprit optimiste de la culture alexandrine ou socratique a triomphé sur les autres formes de civilisations possibles se perpétuant par l’idéal scientifique. Seulement, avec l’homme moderne, cette culture s’effrite. L’homme soupçonne les limites de ce plaisir socratique à la connaissance. Tranquillement l’ombre se lève sur l’illusion théorique. C’est que l’homme du savoir ressent tranquillement l’esclavagisme qu’il représente, sa propre aliénation. Sa volonté de fonder une culture universelle du savoir, sa croyance en la dignité de l’homme, le targue à se réaliser toujours davantage. Mais cette sollicitation apparaît davantage comme un dernier effort, un dernier souffle pour vivre. La joute a reprise avec force et l’homme théorique recule devant ses propres conséquences, c’est-à-dire devant ses fondements. Il a perdu sa naïveté pour laisser place à l’horreur. Il aura beau rechercher d’autres formes, il n’est plus en mesure de combattre et de comprendre la nature cruelle des choses. L’action le répugne. L’homme ne trouvera aucune médiation possible du concept pour la violence de la joute. Les formes actives « napoléoniennes » ne trouvent aucune raison valide et ne figurent en aucune vérité. L’image dissone et provoque l’effondrement de sa propre vision; elle l’aveugle et n’est d’aucune mesure avec cet homme. Cette chose n’est pas à sa mesure.


Commentaires :



Nietzsche est ce philosophe dans l’arène qui observe sur le théâtre du monde la joute de l’existence. Il observe le déclin de l’homme moderne et fait figure de prophète pour les siècles à venir. Qu’avons-nous conservé de son enseignement ? Un simple constat il me semble. Les dernières lignes du chapitre 18 sont d’une justesse terrible pour nous vivant présentement. " C’est en vain que l’on cherche appui, en les imitant, sur toutes les grandes époques productives et tous les grands génies créateurs et qu’on rassemble autour de l’homme moderne toute la littérature, tous les styles et tous les artistes pour qu’il leur donne un nom. Il ne reste plus que l’éternel affamé, le « critique » sans vigueur et sans joie". Mais que dire alors de la philosophie aujourd’hui ? Échappe-t-elle à de pareils attributs? Il semble qu’à en croire Nietzsche, la philosophie ne fait que poursuivre dans cet idéal scientifique vain en éduquant et formant les esprits à tout imiter, critiquer et en les maintenant dans cette espace du ressentiment vivant sans joie et toujours en réaction à quelques pensées, s’acharnant à faire une critique vaine de tout ce qui a été et n’ayant aucune créativité. L’éducation philosophique contemporaine suit dans une large mesure très bien la vision Nietzschéenne. Un vouloir neuf n’est pas forcément promulgué ou mis en avant plan. Force est de constater qu’une formelle imitation est exigée et que toujours il faut constituer d’innombrables analogies entre tels et tels penseurs et idées. La bibliographie déborde, les notes en bas de pages abondent : tout doit demeuré en terrain connu. Ne serions nous pas cette esprit scientifique qui cherche de nouvelles formes sans vraiment y croire, en marche vers un nihilisme complet ? Car nous ne pouvons pas dire non plus que tout étudiant philosophe agit avec joie, amour et que tous vivent d’affirmation. Il existe selon mon expérience un fort primat de la négation. Très souvent le discours passe de négation en négation et finit sans conclusion affirmative mais plutôt avec un silence ou un « je ne sais pas ». Pour dire comme Nietzsche, ce n’est plus la question du bien et du mal ou encore de la vérité qui importe, mais bien la question du sens. Or, quel sens suit notre éducation philosophique? Est-elle dégénérescente? Vit-elle dans l’absence de sens, perdue « au milieu de ce vaste désert qu’est l’océan du savoir »? Et même si elle assume le tragique dans la sympathie et l’amour, que doit-elle être après s’avoir détourné des méthodes, principes et fins antérieurs ? Il lui faudrait être moraliste, prophétique, bergère comme l’est Nietzsche? C’est exactement ce qu’elle n’est pas aujourd’hui. Devrait-elle devenir artistique? Mais comment pourrait-elle être encore philosophie si on lui retire sa tradition, son ambition pour le concept ou son amour pour le savoir ? Peut-elle seulement tolérer sa finitude et de se voir retranchée au rang de simple perspective? Je crois que la philosophie est pour Nietzsche une forme décadente et qu’un surhomme philosophe ou un philosophe dionysiaque est un phénomène impossible. En fait si je considère la tradition philosophique qui a suivie Nietzsche, elle demeure fixée dans cette progression nihiliste : la phénoménologie, la philosophie analytique, la philosophie morale et politique se débattent toujours dans la question du vrai, de l’être, du sujet, du bien, de la justice, du beau, etc. Impossible de concevoir une philosophie dionysiaque qui est quoique ce soit à faire avec ces philosophies d’après Nietzsche. La philosophie me semble donc bien dans la perspective Nietzschéenne une forme agonisante.

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